Nouvelle

Je relis une petite nouvelle écrite il y a quelques mois et je me rends compte que cela peut être un excellent complément à la route du vide. La voici donc.

 

 

"Sous un ciel couvert de nuages gris faisant penser à un large et gigantesque manteau, la forêt craque et bruisse du vent la traversant comme si de rien n’était. Il fait froid, le soleil commence à se cacher à l’horizon, perceptible par la couleur rosée de certains nuages au loin ainsi que par la baisse de lumière générale. C’est un moment de grande mélancolie. Un de ces moments où l’on pense que cela pourrait être la fin du monde. Le soleil finirait tout simplement de se coucher, mais ne se relèverait plus. Et cette idée, aussi apocalyptique soit-elle, n’éveille pas de peur, pas de rébellion, pas de désir de courir quelque part où cette idée n’aurait pas de prise. Non, le paysage gris, morne, en cours d’assoupissement reflète ce que l’on ressent en le voyant. Juste de la fatigue de marcher, encore et toujours. Il semble dans ces moments là que la vie ne se résume pas à grand-chose. Elle est, tout simplement. Elle n’est ni foncièrement joyeuse, ni foncièrement malheureuse. Ni lumineuse, ni ténébreuse. Ni fleur, ni boue. Totalement neutre. Comme un morceau de nuage. Ce n’est que dans ces moments là que l’on peut se sentir le plus calme et surtout le plus vide. Certains en ont peur, d’autres n’y croient pas, pourtant il est là. Sous la couche exubérante et bruyante du monde se trouve une immense étendue de silence immobile et vide.

 

Pourtant, Neal n’est pas un nihiliste. Il n’est pas non plus porté sur les tendances suicidaires ou tout simplement porté au désespoir. Il aime juste regarder ce qui est sous ses yeux. Voir les grands paysages défiler sous ses yeux. C’est aussi pour ça qu’il aime beaucoup voyager. Et c’est invariablement quand il contemple longtemps le monde depuis la place où il est assis que ce genre de pensée lui vient à l’esprit. D’où il se tient, immobile, c’est comme si le monde enlevait l’une après l’autre les différentes couches de réalité jusqu’à ce qu’il ne reste rien de l’apparence du monde.

 

Aussi, Neal ne se voit pas comme un déséquilibré mental qui aurait besoin de traitements anti dépresseurs. Il est ainsi, et ses pensées ne lui apporte ni morosité intense ni plaisir particulier. Il voit, il constate, il accepte.

 

Pour tout dire, Neal prend le monde tel qu’il est : une coquille de noix, dure, réelle, concrète, palpable, mais qui, à l’intérieur, ne contient qu’un vaste espace vide. Aussi est-il loin de penser que le monde qu’il voit n’existe pas réellement. Non, il prend plutôt l’univers comme un emballage, un papier cadeau dissimulant la vraie nature, la véritable source de tout ce qui Est.

 

Cependant, pour être encore plus précis, Neal ne peut pas dire non plus que le vide se cachant derrière l’enveloppe du monde est simplement Vide. Car, d’un autre côté, si la Source de l’Univers est ce Vide, alors tout ce qui entoure Neal en est issu. Le Vide n’est donc paradoxalement pas vide. Il est vide car il n’y a rien de palpable. Mais il est rempli de quantités innombrables de possibles. Un réservoir de possibilités parfois difficilement imaginables pour l’homme qu’est Neal. Par exemple, un monde où 1 et 1 pourraient faire 3. Neal en arrive généralement à ce point de vue au bout de quelques temps de contemplation silencieuse de la Terre. Ce que Neal peut percevoir n’est qu’une enveloppe réaliste qui cache un Vide qui n’est pas vide.

 

Une telle réflexion illogique et paradoxale ferait grimper au plafond les plus grands scientifiques guindés dans leur tour d’ivoire. Sauf peut être Einstein. Oui, Einstein aurait peut être considéré avec intérêt cette théorie.

 

Les feuilles mortes tombées l’année dernière se mettent à voltiger, soulevées par une petite bise. Petite bise se transformant à quelques kilomètres de hauteur en formidable tempête faisant se déplacer le troupeau de nuages. Le mouvement déployait sa trame comme d’habitude. Même quand on se trouve devant une vue où tout semble immobile comme en hiver en haute montagne avec le manteau épais de la neige répandue sur le sol, en réalité, là encore le monde est en mouvement sans qu’on le voie. Les molécules composant l’atmosphère se bousculent tout autour de nous tandis que les neutrons et protons courent sans fin autour du noyau de chaque atome.

 

Et pourtant, cela ne faisait partie que de la coquille de noix, de l’apparence du monde. Si l’on réussit à voir au-delà, on rencontre le Vide, et donc l’immobilité. Neal s’étonne même que dans un monde où rien n’est jamais vraiment immobile, le concept de l’immobilisme ait pu être saisi par certains. Mais, même si ce que Neal a devant les yeux n’est que mouvement, pourtant, celui-ci arrive d’une certaine façon à voir ce qui pourrait être de l’immobilisme. Quelque chose dans l’air. D’infiniment subtil. À un tel point que Neal doute parfois de la possibilité même de l’existence de cette immobilité inhérente au monde. Si Neal devait préciser, c’est un peu comme si cette immobilité intrinsèque, subtil, existait à chaque instant pour être le point de départ où le mouvement s’initie. Dit en d’autres termes, il semble à Neal que le Monde entier se recrée à chaque milli seconde. Comme si l’immobilisme explosait en boucle pour laisser apparaître le Mouvement.

 

Le train commence à ralentir, ce qui oblige Neal à se dégager de sa contemplation.

 

Rapidement, Neal se leva de son siège et, une fois le train immobilisé, se mit en mouvement."